vendredi 9 novembre 2012

Prescrire une activité sportive comme on prescrirait un médicament, ce n'est plus de la science-fiction : expérimentation strasbourgeoise et réflexions au niveau national en sont la preuve. Vision ultrafondue d'une actualité qui fait couiner les claviers sur le web.

Nous autres coureurs d'ultra le savons bien : dès que nous souhaitons pratiquer notre sport dans un cadre compétitif, il est nécessaire de faire valider son état de forme par un médecin qui, via un certificat médical de non contre-indication à la pratique en compétition de notre sport favori, nous autorisera à prendre le départ des trails, 24 heures, marathons, 10 km de notre choix. En somme, nous devons demander l'autorisation de faire du sport au corps médical. Pour le reste, basta, le sportif immodéré est plutôt vu comme un extra-terrestre par ses congénères, plutôt sédentaires, et par là même très raisonnables. Y compris d'ailleurs par les médecins, pas toujours très compréhensifs à l'égard de nos boulimies de kilomètres et autres dénivelés.

Seulement voilà, les sportifs – et nous, coureurs d'ultra les premiers – sont tous d'accord : le sport, c'est bon pour la santé. Il parait que même le sport intensif – y compris de haut niveau – est bon lui aussi pour la santé, contrairement à ce qu'on croirait de prime abord : ainsi, selon le Professeur Jean-François Toussaint, directeur de l'Institut de Recherche bioMédicale et d'Épidémiologie du Sport (IRMES), « Chez les athlètes professionnels comme chez les sportifs amateurs assidus, le fait de repousser sans cesse ses limites s'associe à un gain en qualité et en durée de vie, en dépit du risque de mort subite et d'accident lié à l'activité ». Ça, ça fait drôlement plaisir, non ? En tous cas, ça déculpabilise de s'envoyer du sentier à longeur d'année – si toutefois vous culpabilisiez !

Cette conclusion fait suite à des études de l'IRMES mais aussi de l'INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) portant sur, par exemple, les vainqueurs du Tour de France, l'élite tennistique mondiale, les athlètes français ayant participé aux Jeux Olympiques, ou les coureurs du marathon de New-York. Dans tous les cas, le sport, pratiqué le plus souvent intensivement, permet d'observer une augmentation de l'espérance de vie chez les populations ciblées, ainsi qu'une meilleure qualité de vie. À une intensité moindre, les médecins sont également tous d'accord sur le fait que l'activité physique permet de lutter contre le phénomène de vieillissement de l'organisme, en particulier les diminutions des capacités pulmonaires et musculaires, et l'altération du système cardio-vasculaire.

Ça parait évident, mais plus vous vous servez de votre corps (vos poumons, vos bras, vos jambes, votre coeur, vos artères et vaisseaux sanguins...), plus il se maintient longtemps en bonne forme. D'ailleurs, chacun de nous a pu l'observer, lors de périoles de moindre motivation, de blessure, ou d'empêchement de courir : un petit mal de dos par ci, une sensation de lourdeur par là, une motivation qui s'effrite... sans compter l'essouflement en montant les escaliers ou en courant derrière le bus.

Ainsi à haut niveau comme à niveau modéré, mais également à un niveau (fréquence, intensité) faible, l'activité physique est bonne pour la santé. À l'heure où, justement, notre système de santé bat de l'aile, n'y avait-il pas une piste à creuser ? Voilà donc qu'une passerelle pourrait se créer entre le monde du sport et celui de la santé : depuis quelques années, les publications de l'Académie de Médecine, d'instituts comme l'INSERM et l'IRMES, de revues scientifiques, de sociétés privées oeuvrant dans le monde de la santé, sont unanimes sur le fait qu'inciter les populations à pratiquer une activité physique pourrait non seulementrelever leur niveau de santé, mais alléger les dépenses liées au traitement des maladies, dépenses supportées principalement par les systèmes de santé (l'Assurance Maladie en France). En clair : donnez aux médecins la possibilité de prescrire des séances de sport à leurs patients, remboursez-les comme s'il s'agissait de médicaments, et non seulement vous ferez des économies immédiates – une année d'abonnement en salle de sport coûtant moins cher que l'équivalent en médicaments –, mais en plus à terme les patients seront en meilleure santé, et « coûteront » encore moins.

« Youpi ! » Pourrait-on s'écrier, nous allons avoir des tas de nouveaux camarades de jeu, poussés hors de leur canapé par le système de santé français, enfin clairvoyant ! Hou la, on se calme : nous n'y sommes pas encore. Certes, une expérimentation se déroule sur Strasbourg : « Sport-Santé sur Ordonnance » est un dispositif financé par la ville (130 000 euros) et qui permet aux Strasbourgeois de disposer gratuitement du sytème de vélos en libre-service de la ville (Vélhop), et de recevoir des coupons permettant d'accéder à différentes activités sportives encadrées par des éducateurs. Ce dispositif concerne des sujets atteints de maladies chroniques pour lesquelles l'exercice est fortement conseillé : essentiellement des problèmes cardio-vasculaires dus à une obésité modérée associée ou pas au tabagisme. Environ 400 personnes pourraient en bénéficier.

Quel sera l'engouement et l'impact réel de cette expérimentation ? Si elle s'avère couronnée de succès, le sport comme substitut au médicament pourrait aboutir àun réel choix de société : n'oublions pas que la France est l'un des pays les plus médicalisés au monde : malgré un net recul, elle se classait encore en 2011 parmi les trois plus grands consommateurs européens d'antibiotiques et d'anxiolythiques. Cependant les critiques fusent déjà de toute part, notamment sur les sites d'information sur Internet où chacun y va de son commentaire, souvent cynique, comme Dominique, sur le site du Monde : « N'importe qui peut marcher, courir ou faire du vélo, pas besoin d'une ordonnance et ça ne coûte rien. La Sécurité Sociale a autre chose à faire que payer des abonnements de salles de sport ! »

Ainsi, nous avons listé quelques interrogations qui effectivement restent pour le moment en suspens :
• Rembourser le sport n'est-il pas un non-sens, car le sport, à la base, c'est gratuit : la marche ne requiert aucun abonnement en salle, quasi aucun matériel que tout un chacun ne possède déjà, et la marche est reconnue comme l'un des sports les plus bénéfiques pour les pathologies justement ciblées. On peut toutefois opposer à cette critique le fait qu'une activité sportive « médicalisée » doit être encadrée, ce qui nécessite effectivement des moyens financiers.
• Le médecin qui prescrira une activité sportive à son patient sera-t-il en mesure d'établir la « posologie » à appliquer ? Faudra-t-il se tourner esclusivement vers les médecins du sport ? Dans le cadre de l'expérimentation strasbourgeoise, une réponse à cette interrogation se dessine : des éducateurs spécialisés seront là pour guider le patient dans son activité.
• Comment un patient qui n'a jamais été sportif va-t-il accepter une prescription sportive ? En effet les patients doivent se montrer volontaires dans le cadre d'une prescription sportive, il ne s'agit plus d'un soin « passif » (on avale son remède qui agit), mais d'un soin « actif » : c'est de brûler des calories qui est le remède. Un peu comme dans le cadre d'une rééducation après un accident de la route. Ce n'est qu'après expérimentation sur le terrain qu'on pourra se rendre compte de l'acceptation de ce type de prescription.
• Est-il possible de faire du sport contre son gré ? L'activité sportive est bénéfique lorsqu'elle est pratiquée volontairement, mais lorsqu'elle est obligatoire (à l'école par exemple), le jeu est faussé. Le plaisir de pratiquer n'y est pas forcément, plaisir qui joue pour beaucoup dans la capacité à se motiver, à progresser, à s'obstiner dans le temps. Là encore, ce n'est qu'après expérimentation que l'on se rendra compte du succès, ou pas, de la mesure.
• Ne vaut-il pas mieux insister sur l'éducation et l'incitation à la pratique sportive (à la maison, à l'école, dans les médias), sans quoi cette mesure risque de ne pas réellement porter ses fruits ? Il est évident que l'un ne va pas sans l'autre... mais il semblerait qu'une réelle volonté politique de redorer le blason de l'activité physique existe : la Ministre des Sports, Valérie Fourneyron, qui est elle-même médecin du sport, milite en faveur de l'indication de l'activité sportive, à l'opposé de la « non contre-indication » que l'on connait aujourd'hui.

Rendez-vous donc dans quelques mois pour faire un premier bilan sur cette expérimentation strasbourgeoise. En attendant, allez courir, c'est bon pour ce que vous avez !